CLARA

Clara, Robert Schumann & Johannes Brahms

Vertiges Romantiques

 Spectacle présenté en collaboration avec transArtis Productions.
Dossier détaillé, castings d’artistes proposés et budget disponibles sur demande.

Conception, livret, musique originale, mise en scène :
Patrick CRISPINI

ACTEURS, DANSEURS ET MIMES
Solistes de EUROPEAN CONCERTS ORCHESTRA
Direction musicale : PATRICK CRISPINI

Il existe trois versions de ce programme :
– 2 récitants, ensemble instrumental (de 2 à 12 musiciens) ;
– 2 récitants; orchestre symphonique (32 à 50 musiciens) ;
– 1 récitant accompagné par un fond musical sur bande sonore.

Durée : environ 1 h 50.

A la page du 30 septembre 1853, dans cet agenda qui servait aussi, à Robert et à Clara, de journal intime, Schumann avait noté, comme un simple rendez-vous à ne pas oublier : « Herr Brahms, de Hambourg ». Le lendemain, 1er octobre, à la première ligne en haut de la page : « Visite de Brahms. Un génie ! ». Schumann avait reçu Johannes l’après-midi. On n’avait pas tenu de longues conversations. À peine la présentation faite, Brahms s’était aussitôt, à la demande de Schumann, mis au piano. Le premier mouvement de la sonate en ut majeur se terminait à peine que Robert s’était levé en proie à une vive agitation. Il était soudain sorti de la pièce en s’écriant: « Clara doit entendre cela ». Clara était accourue: « Chère Clara, avait dit Schumann, tu vas entendre une musique comme tu n’en as jamais entendu auparavant. Jeune homme, recommencez ! » Et il avait fallu recommencer le premier mouvement. Et puis de même du deuxième, et du troisième, et de tous, parmi les cris de joie et d’émerveillement des Schumann transportés. Dans ces minutes émouvantes, comme d’un coup de foudre, venait de naître cette amitié qui allait unir maintenant les trois artistes.

C’est sur l’évocation de cette rencontre magique des Schumann avec le jeune Johannes Brahms que commence le spectacle de Patrick Crispini.

Que n’a-t-on écrit sur la fatalité d’ombres et de ténèbres qui marque la vie de Robert Schumann ? Né le 8 juin 1810 à Zwickau, c’est porté par les muses qu’il commence le piano à l’âge de six ans. À Leipzig, il rencontre Friedrich Wieck, professeur de piano réputé, qui l’accepte comme élève. Porté aux excès, il met au point un système de musculation de son annulaire qui entraîne peu à peu une paralysie de sa main droite.

Dépressif, il s’en faut de peu qu’il ne perde la raison. C’est alors qu’il s’éprend de la fille de son professeur, la jeune virtuose Clara Wieck [1819- 1896], et compose fiévreusement pour elle. Contre l’avis paternel, enlisé dans d’interminables arguties juridiques, c’est seulement en 1840 qu’il peut enfin épouser sa bien-aimée : années heureuses, célébrées par leur journal commun. Pour ne pas ébranler l’équilibre fragile de son mari, Clara s’efforce d’être l’épouse attentive et dévouée dont il a besoin. Mais cette musicienne prodige – l’une des plus brillantes pianistes de son temps, souvent qualifiée de « second Liszt » – , formée à la dure école de son père, qui connut ses premiers succès à l’âge de 11 ans et commença très tôt à composer, devra sacrifier une carrière toute tracée pour s’occuper de ses huit enfants et de son foyer.

Dévouée corps et âme à l’œuvre de son mari, qu’elle va interpréter partout en Europe lors de tournées triomphales, elle devra cependant accompagner le long calvaire mental de Robert jusqu’au fond des ténèbres, soutenu par le fidèle Johannes Brahms…. Destin paradoxal, caractère farouche et indomptable hors de la sphère familiale, figure majeure de la société musicale de son temps, il est temps de redécouvrir les joyaux de l’œuvre de celle qui, malgré les interdits, tentera de concilier les contraintes domestiques avec les vertiges romantiques…

***

Dans les jours qui vont suivre leur première rencontre, Johannes deviendra un familier de la maison. Sachant qu’il vit dans une modeste auberge, avec ses pauvres petits moyens de musicien ambulant, Schumann lui demande chaque jour de venir prendre ses repas chez lui. Johannes, timide, hésite, n’ose accepter. Et c’est alors Clara qui vient le chercher. La révélation du génie de Brahms bouleversa Schumann; dès cette première rencontre, son intelligence et son cœur vont se mettre au service du jeune homme.A travers lettres et extraits du Journal que tinrent les Schumann«C’est celui-là qui devait venir». Puis: «Je pense que si j’étais plus jeune, écrit-il à Joachim à la date du 8 octobre, j’écrirais des odes pour célébrer ce jeune aigle qui est descendu des Alpes à Düsseldorf d’une façon si souveraine et inattendue. On pourrait aussi le comparer à un torrent impétueux qui, comme un Niagara, se montre dans toute sa splendeur quand il se précipite des hauteurs, ainsi qu’une chute d’eau rugissante, et sur les rives duquel volettent les papillons et chantent les rossignols… Le jeune aigle semble être heureux dans les Basses Terres; il a trouvé un vieux gardien qui a l’habitude de ce genre d’envolées, et qui sait comment modérer ces sauvages coups d’ailes sans que leur puissant élan en soit brisé.»

[…] On pourrait multiplier à l’infini les citations de ce genre de lettres enthousiastes mais dont le ton paraît encore bien faible à côté du fameux article que Schumann préparait pour la Newe Zeitschrift für Musik, qui devait paraître dans le numéro du 28 octobre, et dont on trouvera ici le texte intégral. Cet article était intitulé Neue Bahnen:

Chemins nouveaux

Des années ont passé – en presque aussi grand nombre que celui consacré jadis par moi à la première direction de ce journal, dix très exactement [Schumann avait fondé la Neue Zeitschrift für Musik en 1834 et en était resté le directeur-rédacteur en chef jusqu’en 1844. La revue avait alors été reprise par Fr. Brendel qui en avait fait l’organe officiel du groupe néo-allemand, ce qui explique en partie que Schumann n’y ait plus collaboré] – depuis que je n’ai plus paru sur cette scène pour moi si riche de souvenirs. Souvent, en dépit d’une activité productrice acharnée, j’avais été tenté de le faire; nombre de talents nouveaux et remarquables s’étaient révélés, un vigoureux renouveau musical avait semblé s’annoncer grâce à plusieurs des artistes les plus sérieux de l’époque, encore que leurs oeuvres n’aient été, pour la plupart, connues que d’un cercle très restreint – et je pense ici à Josef Joachim, Ernest Naumann, Ludwig Norman, Waldemar Bargiel, Theodor Kirchner, Julius Schäffer, Albert Dietrich, sans oublier le grave E.F. Wilsing. Comme hérauts fidèles et braves de la bonne cause, il faut aussi mentionner ici Nids W. Gade, C.F. Mangold, Robert Franz, et St. Heller. Observant avec une vive sympathie le chemin parcouru par ces artistes exceptionnels, je pensais qu’après une telle préparation apparaîtrait, et devait apparaître, soudain quelqu’un qui serait appelé à traduire d’une façon idéale la plus haute expression de l’époque, qui nous apporterait sa maîtrise, non par un développement progressif de ses facultés, mais par un bond soudain, comme Minerve surgissant toute armée de la tête de Jupiter. Et il est arrivé, cet homme au sang jeune, autour du berceau de qui les Grâces et les Héros ont veillé. Il a nom Johannes Brahms. Il vient de Hambourg où il travaillait en silence et où un professeur excellent et enthousiaste l’instruisait des règles les plus difficiles de son art; il m’a été présenté récemment par un maître estimé et bien connu. Il portait tous les signes extérieurs qui proclament : «Celui-là est un élu». À peine assis au piano, il commença de nous découvrir de merveilleux pays. Il nous entraîna dans des régions de plus en plus enchantées. Son jeu, en outre, est absolument génial; il transforme le piano en un orchestre aux voix tour à tour exultantes et gémissantes. Ce furent des sonates, ou plutôt des symphonies déguisées; des chants dont on saisissait la poésie sans même connaître les paroles, tout imprégnés d’un profond sens mélodique; de simples pièces pour piano tantôt démoniaques, tantôt de l’aspect le plus gracieux; puis des sonates pour piano et violon, des quatuors à cordes, chaque oeuvre si différente des autres que chacune paraissait couler d’une autre source. Et alors il semblait qu’il eut, tel un torrent tumultueux, tout réuni en une même cataracte, un pacifique arc-en-ciel brillant au-dessus de ses flots écumants, tandis que des papillons folâtrent sur ses berges et que l’on entend le chant des rossignols.

Si, outre cela, il plonge sa baguette magique dans le gouffre où la masse des choeurs et de l’orchestre lui prête sa puissance, nous pouvons nous attendre à des aperçus plus merveilleux encore sur les mystères du monde des esprits. Puisse le plus noble génie le fortifier, du moins en ce qu’il est déjà permis de prévoir; car un autre génie habite aussi en lui, celui de la modestie. Ses confrères le saluent à son premier voyage à travers le monde où, peut-être, l’attendent des blessures, mais aussi les lauriers et des palmes. Nous le proclamons bienvenu en vaillant combattant qu’il est.

Il y a, de tout temps, une secrète alliance des esprits frères. Vous qui appartenez à ce cercle, constatez que la vérité de l’art brille de façon de plus en plus éclatante, répandant partout joie et bénédiction.

extraits de Johannes Brahms, par Claude Rostand, © éditions Fayard