MAURICE SCHUMANN

Maurice Schumann, né le 10 avril 1911 et mort à Paris le 9 février 1998
(enterré à Asnelles, en Normandie, près de la plage où il débarqua en 19441), est un homme d’État, journaliste et écrivain français.

Que nous avons ri et bavardé avec Maurice Schumann sous les lambris vénérables du Sénat ! Des heures inoubliables, dans son bureau au Luxembourg, mais aussi lors d’enregistrements d’entretiens pour la radio que je réalisai avec lui dans les années 80, dans le cadre du prix Honegger de la Fondation de France, où je le retrouvai au sein du jury, ou au restaurant…

Il m’éblouissait, littéralement, par sa vaste culture, son art de faire des liens, sa langue ouvragée, jamais maniérée, mais toujours admirablement ciselée dans une syntaxe virtuose, traduisant une pensée claire et lumineuse.

Un art de l’éloquence jamais pris en défaut dont on aurait peine à trouver l’équivalent aujourd’hui.

Mais, bien sûr, c’était l’amour de la musique qui nous réunissait le plus souvent. Parfait mélomane, sa connaissance musicale était vaste et érudite.

Réunis par la fille du compositeur, nous partagions la même dévotion pour Arthur Honegger, celui de la Liturgique, celui de Jeanne

Et puis il y avait Schumann (l’autre, Robert, le mélancolique amoureux de Clara Wieck) et, par-dessus tout, Mozart. N’avait-il pas écrit un roman policier – Le concerto en ut majeur – où l’andante du 21e concerto pour piano joue un rôle-clé.

Nous passions de longs moments à chantonner tel ou tel fragment, bien souvent interrompus par le surgissement des collaborateurs de son secrétariat, qui peinaient à suivre le rythme de l’allègre octogénaire au regard malicieux […].

Ce qualifiant lui-même de « fou de la France », il fut un grand serviteur de l’État. Il y aurait tant à dire sur son rôle capital aux côtés du Général De Gaulle retranché à Londres, devenant au micro un de ses porte-paroles, une sorte d’attaché d’ambassade(s), parfois un porte-plume.

De tout cela il parlait volontiers, mais restait toujours modeste et ne s’exaltait qu’au moment toujours essentiel pour lui de célébrer la France, encore et toujours, à travers ses souvenirs… Pour les hommes de sa génération, qui avaient vécu dans la France libre ces temps tragiques, ce mot – la France – n’était jamais prononcé qu’avec une vibration, une émotion bien perceptible :« une certaine idée de la France », comme aimait à dire le Général De Gaulle… Il fut, tant dans ses fonction sénatoriales que dans ses nombreux offices à l’Académie française, un homme d’une énergie redoutable qui, plus d’une fois, découragea les plus jeunes de ses collaborateurs, tant son insatiable appétit d’action se trouvait au moins aussi généreux que sa soif de culture.

Chaque fois que j’eus besoin d’un mot de lui pour un programme de concert ou de sa voix pour un entretien, il ne se déroba pas malgré ses lourdes charges.

Alpha et oméga de son existence, cet esthète, amoureux passionné des arts, plaçait la beauté au cœur de tout. Quand je pense à lui, il me semble voir encore sa lourde silhouette s’animer lorsqu’il s’enthousiasmait à évoquer avec lyrisme une statue grecque antique ou la fureur de Michel Ange, récitant de mémoire et sans faille des poèmes entiers de Baudelaire, de Victor Hugo, des passages de la Recherche de Proust, ou des vers de son cher Racine. Nous partagions la même inclination pour la plume de Maurice Genevoix. Il faudrait un barrage assez colossal pour contenir tous ces atomes d’affinités  que charriait le fleuve de nos passions électives…

Cher Maurice Schumann, lorsque je pense à vous – et c’est bien souvent – c’est votre voix avec son beau timbre cuivré de baryton Martin qui me revient aussitôt, mordorée par votre plaisir de la moduler aux couleurs de votre palette si riche. N’avez-vous pas été, dans Londres accablée, la voix de la France ? Qui, aujourd’hui, dans les décombres de notre pauvre rhétorique, saurait encore la revêtir de si beaux atours ? […]

Patrick Crispini, in © Instants d’années, 2010

écouter : LETTRONOME, entretien en forme d’abécédaire avec Maurice Schumann
(© Réalisation : Patrick Crispini – DUINO PROD 1992 tous droits réservés)