PIERRE PERNOUD (1930-1978)

 À Genève, Pierre Pernoud avait poursuivi des études classiques et musicales, en obtenant notamment le Certificat d’Études Supérieures d’histoire de la musique à l’Institut de Musicologie de la Sorbonne auprès de mon cher ami Jacques Chailley.

Il avait fondé la Psallette de Genève en 1950 et avait été nommé directeur du Conservatoire Populaire de Genève en 1974.

En même temps que mon arrivée à Lausanne chez Michel Corboz, j’étais entré à la Psallette de Genève, heureux de pouvoir travailler avec son chef, le merveilleux et charmant musicien qu’était Pierre Pernoud (qui devait malheureusement disparaître trop tôt, emporté par une cruelle maladie).

Pierre est la grâce même, la délicatesse, l’humilité, la beauté intérieure exaltée.

D’une certaine manière il incarne l’exact opposé de Michel Corboz. Son chœur genevois, composé de voix amateurs, demeure d’un niveau assez moyen, mais le répertoire est porté par l’originalité et la curiosité de son directeur musical. En tant que bon lecteur, il va me solliciter pour participer à sa « commission artistique » (les Suisses adorent les commissions !), chargée de dénicher des partitions rares ou méconnues et de les déchiffrer en loge, pour déterminer si elles pourraient un jour faire l’objet d’une future programmation.

[…]

Toujours est-il que Pierre continuait avec courage à tenter des programmes de plus en plus originaux.

C’est ainsi qu’il va se retrouver en présence d’une œuvre de jeunesse de Frank Martin, une Messe à double chœur, écrite entre 1922 et 1926, que le compositeur avait oubliée au fond de ses tiroirs.

À la lecture de la partition, à laquelle la fameuse « commission » des bons lecteurs du chœur s’était attelée, il parut évident que cette Messe était un vrai chef-d’œuvre, un joyau. Dès lors toutes les forces vives autour de Pierre se mirent en mouvement pour que puisse se réaliser une (re)création de l’œuvre à Genève, peut-être même en présence du compositeur. D’abord réticent à l’entreprise (« Ah quoi bon ? C’était une affaire entre Dieu et moi », expliqua-t-il) celui-ci finit par accepter. Neuf mois de répétitions intensives commencèrent alors, de nombreux « renforts » venant étoffer l’effectif du chœur pour rendre l’exécution possible.

Le chœur de la Psallette au moment où j’y chantais… (4e en haut depuis la gauche)

La fin des répétitions pour la Messe à double chœur s’annonçait.

[…]

Puis vint le concert : de toute ma vie, je ne me souviens pas avoir chanté avec plus d’ardeur, plus de foi, que ce jour-là. Je vivais là ma deuxième « résurrection ». À la fin, comme nous passions tous devant le maître en file indienne pour le féliciter, et que la plupart lui faisait signer des autographes sur les programmes – chose pour laquelle j’ai toujours eu la plus grande répugnance – je me retrouve encore une fois face à lui. Je tiens ma partition sous le bras, dans laquelle est glissée l’affichette du concert : il me fait signe de la lui tendre, y écrit quelque chose, puis me la rend. Je m’éloigne aussitôt dans la nuit, sans me rendre à la verrée qui suit le concert, serrant contre moi ma partition, toute gondolée par l’émotion et la chaleur qui m’ont étreint lors de l’exécution de la Messe, n’arrivant pas à me décider à l’ouvrir pour lire la dédicace. Rentré à la maison, l’ayant posée sur le lutrin du piano, je finis par tourner la page de couverture : sur la petite affiche verte une belle écriture large et patiente a écrit :

« …à Patrick, qui chante pour toujours !, F. M. »

Quelques mois plus tard, juste après sa disparition, je ferai partie des phalanges venues participer au dernier hommage qui lui sera rendu à la cathédrale Saint-Pierre de Genève.

Patrick Crispini, extrait de celui qui chantait toujours !