SCRIABINE : MYSTERIUM

 Spectacle présenté en collaboration avec transArtis Productions.
Dossier détaillé, castings d’artistes proposés et budget disponibles sur demande.
voir aussi : De l’Harmonie, la vibration originelleopusBooks : commander la brochure

Conception, livret, musique originale, mise en scène :
Patrick CRISPINI

ACTEURS, DANSEURS ET MIMES
Solistes de EUROPEAN CONCERTS ORCHESTRA
Direction musicale : PATRICK CRISPINI

Il existe trois versions de ce programme :
– 2 récitants, ensemble instrumental (de 2 à 12 musiciens) ;
– 2 récitants; orchestre symphonique (32 à 50 musiciens) ;
– 1 récitant accompagné par un fond musical sur bande sonore.

Durée : environ 1 h 50.

Alexandre Scriabine est certainement le grand visionnaire de la musique occidentale à la fin du XIXe siècle. À ses débuts, il est encore influencé par Chopin, Liszt, Wagner et Debussy.
Dès 1907, avec son Poème de l’extase, et surtout à partir de 1911 avec la Sonate n°6 et Prométhée, le Poème du feu, il évolue résolument vers une écriture annonciatrice des grands changements à venir, en systématisant l’usage de la polymodalité, la polyrythmie, le dodécaphonisme, les échelles symétriques.
En 1904, Scriabine quitte la Russie pour séjourner plusieurs années à l’étranger. C’est à Lausanne et au Beatenberg en 1907 qu’il terminera, dans des conditions précaires, le Poème de l’Extase.
À partir de 1904, il note dans un journal ses idées et ses réflexions philosophiques. Il découvre la théosophie. Précurseur des nouveaux moyens visuels, il prévoit pour son Prométhée la présence d’un clavier à couleurs dont les dégradés accompagneraient les sons selon des correspondances et nuances mystiques. En 1910, à Moscou, il décide de faire bâtir un temple en Inde pour la réalisation de son Mystère. Mais il tombe malade et meurt de septicémie, après de terribles souffrances, le 27 avril 1915.
Patrick Crispini, un des meilleurs spécialistes de ce compositeur, nous révèle à travers ce spectacles quelques aspects fascinants de cette œuvre unique.

Scriabine le Visionnaire

Pour Alexandre Scriabine [1872-1915], l’harmonie cosmique ne peut que réunir, dans une même communion vibratoire, les sons et les couleurs. Compositeur et pianiste russe né à Moscou, porté vers les notions d’absolu ancrées dans une vision syncrétique mêlant philosophie, symbolisme, occultisme, théosophie, pour lui « le monde est un système de correspondances à la fois immobile à chaque instant donné et se transformant inlassablement dans le temps » : c’est dans une fusion, à la fois sonore, visuelle et mystique, que peut se reconstituer l’Un, le Tout.

« La vibration, écrit-il, relie les états de conscience entre eux et constitue leur seule substance ». Et d’ajouter : « Il n’y a pas d’espace et de temps en dehors de la sensation. Il n’y a pas d’espace et de temps donnés qui préexisteraient aux sensations, lesquelles y seraient incluses. L’espace et le temps sont créés en même temps que les sensations ».

Il ajoute dans ses Cahiers que « dans la forme de la pensée l’extase est la plus haute synthèse. Dans la forme du sentiment l’extase est la plus haute béatitude. Dans la forme de l’espace l’extase est le plus haut épanouissement et l’anéantissement. En général, l’extase est le sommet, est le dernier instant, qui en tant que phénomène n’existe qu’en relation avec les autres phénomènes et résume toute l’histoire de l’humanité. »

Dans son Poème de l’extase, par exemple, on trouve la présence récurrente du nombre 36 dans les différentes sections de l’œuvre, du double tétrakys pythagoricien (1+3+5+7 et 2+4+6+8) qui, selon Platon, symbolise l’harmonie universelle.

Par rapport à l’ensemble de la pièce, le nombre d’or (la fameuse proportion « divine ») mesure très exactement la séparation de la première à la deuxième partie au niveau de la réexposition à la mesure 375 et se retrouve d’autre part dans le plan de la « luce », où il distingue les séquences de bleu pur (début et fin) des autres couleurs du spectre, réparties sur 374 mesures !

« L’océan de la fantaisie crée : cela signifie qu’il colore ses gouttes de différentes teintes, cependant il lui suffit d’en colorer une parmi les autres de quelque couleur que ce soit, les autres, immanquablement recevront d’autres couleurs correspondantes, car aucune couleur n’existe en dehors du rapport avec les autres couleurs. Ceci donne une certaine idée par analogie de la création individuelle et de son action sur l’univers. » (Cahier II, §93)

Sur le plan harmonique, il crée un « accord synthétique », composé de six quartes superposées (do-fa dièse-si bémol-mi-la-ré), issu lui-même du cycle des quintes, qui contient tout le système tonal à 12 demi-tons.

Recherchant l’état d’extase où le son-couleur est généré par la vibration – « Un ensemble complexe et précis de vibrations : tel est le but d’une œuvre », note-t-il encore dans ses Cahiers, avant de préciser : « Dans le mouvement vibratoire, les points extrêmes de chaque oscillation sont des moments et peuvent être perçus seulement en tant que limites du mouvement vibratoire […]. C’est par là que s’explique ce fait que chacun des états existe seulement dans le système de relations, et en dehors de lui est impensable » – il tente de fixer des correspondances sonores et colorées pour chacune des 12 notes du système tonal, liées à des états d’âme prédisposant à un programme mystique.

Cercle chromatique des correspondances sonores et colorées d’après Scriabine
conception, réalisation : © Patrick Crispini, in La Vibration originelle

Prolongeant des préoccupations déjà présentes dans la « Gesamtkunstwerk » (l’œuvre d’art total) souhaitée par Richard Wagner pour ses opéras, en accord avec les démarches syncrétiques très en vogue dans les milieux esthétiques et philosophiques à la fin du XIXe siècle, il envisage toutes sortes de « scénarios divins » (sic) pour que tous les sens soient mis à contribution pendant l’exécution de l’œuvre, ouïe, vision, toucher, odorat… réunis dans une forme de chorégraphie collective portée par les vibrations.

Ainsi la partition de Prométhée ou le Poème du Feu, composée en 1910, installe, sans doute pour la première fois dans l’histoire de la musique, un « conducteur » spécifique pour la « luce » (la lumière).

Porté par sa vision synoptique, avec le peintre symboliste Jean Delville, auteur de la page de titre de Prométhée, ébauchée en 1908-1909 à Bruxelles, il prévoit pour son « grand Œuvre », dont la résurrection du vieux mythe prométhéen indique bien l’inscription dans une tradition antique et ésotérique, un clavier de lumière, où chaque touche du clavier correspondrait à une couleur, actionné par un instrumentiste parmi les autres musiciens de l’orchestre, permettant de projeter une lumière colorée diffuse en symbiose avec le flux musical.

Mais, en 1913, le dispositif prévu, entraînant des problèmes sans fin, est abandonné et Scriabine ne pourra jamais voir l’accomplissement de sa « vision ». Scriabine tombe brusquement malade. Il trouve la force de donner un dernier concert en avril et meurt de septicémie, après de terribles souffrances, le 27 avril 1915.

Cette même année, une création de l’œuvre a lieu au Carnegie Hall sous la direction de Serge Koussevitsky, au cours de laquelle un clavier de couleur, appelé chromola, fabriqué spécialement pour l’occasion par Preston Millar, un ingénieur des laboratoires Bell, permettait de projeter des couleurs sur un écran, la frappe des touches du clavier déclenchant, via un circuit électrique, l’allumage d’une lampe de couleur. Mais les effets obtenus sont très éloignés du bain vibratoire englobant exécutants et auditoire et du « transport » métaphysique que préconisaient Scriabine.

Depuis, de nombreuses tentatives d’exécutions colorées ont eu lieu un peu partout dans le monde, mais le résultat demeure décevant, malgré les nouveaux moyens de réalisations numériques assistées par ordinateur. Le plus souvent, le « plaquage » du programme coloré se rapproche plus d’effets artificiels proches de ceux que l’on pourrait voir dans un cabaret ou une boîte de nuit, et dont la vulgarité, c’est le moins que l’on puisse dire, dessert plus l’esprit de l’œuvre qu’elle ne la magnifie… On attend toujours une réalisation digne de ce nom, où le substrat technologique puisse se fondre dans une osmose vibratoire profonde et absolue, où la lumière et le son ne fassent plus qu’un. Une utopie ? …

Extrait de la partition d’orchestre de Prométhée, le poème du feu (partie instrumentale de la Luce surlignée en jaune).
conception, réalisation : © Patrick Crispini, in La Vibration originelle

Le point d’orgue de cette quête devait être la liturgie sacrée de son œuvre ultime : le Mystère, projet initié à la suite de la rencontre à Londres du philosophe musicien indien Inayat et des milieux théosophiques de cette ville. Malheureusement, l’ouvrage ne fut jamais écrit et seuls en subsistent le livret poétique, le « programme » mystique et 53 pages d’esquisses musicales de l’Acte Préalable, dont la fonction de « rituel préparatoire » aurait dû précéder le Mystère proprement-dit.

« Il n’y aura pas le moindre spectateur. Tout le monde sera participant. La performance exige des gens spéciaux, des artistes spéciaux et une culture complètement nouvelle. Le personnel inclut un orchestre, un grand chœur mixte, un instrument avec des effets visuels, des danseurs, un cortège, de l’encens et l’articulation du rythme et des autres sens. La cathédrale dans laquelle il aura lieu ne sera pas un bâtiment de pierres homogènes, mais changera continuellement avec l’atmosphère et le mouvement du Mysterium. Cela sera fait à l’aide des brumes et des lumières, qui modifieront les contours architecturaux. »

La durée totale de l’œuvre devait s’étendre sur sept jours et son exécution se dérouler dans un temple sphérique installé sur les contreforts de l’Himalaya ou dans le parc de la Société théosophique à Adyar en Inde.

Dessin de la main de Scriabine, le Temple-sphère pour Mysterium